En 2023, l'intelligence artificielle promettait une nouvelle ère économique. En 2024, elle s'est infiltrée dans tous les secteurs : finance, santé, marketing, éducation, production, logistique. En 2025, un constat inattendu s'impose : la majorité des entreprises qui ont investi dans l'IA n'ont pas vu de retour sur investissement. Certaines ont même perdu gros.
Ce n'est pas une remise en cause technologique. L'IA est bien là. Elle est puissante, opérationnelle, et omniprésente. Mais pour beaucoup d'acteurs économiques, elle n'est pas rentable.
Pourquoi ? Parce que la véritable révolution de l'IA n'est pas technologique. Elle est cognitive, structurelle, stratégique. Et rares sont ceux qui y étaient préparés.
Une promesse mal comprise
Le point de départ du problème est simple : on a surévalué ce que l'IA peut faire, et sous-estimé ce qu'elle exige. L'emballement a été spectaculaire. Chaque outil se disait « propulsé par l'IA », chaque startup en faisait son argument de levée de fonds. Des modules de génération automatique de texte, d'images, de pitchs, de mails, de scripts ont envahi les services marketing. Des interfaces de chat intelligents ont remplacé les formulaires, les assistants vocaux ou les standards téléphoniques.
Beaucoup ont mis en place des outils sans se poser trois questions simples :
- Quel problème résout cette IA ?
- Pour qui ?
- Avec quelle donnée, quelle supervision, quel bénéfice mesurable ?
Résultat : des investissements mal calibrés, des services dégradés, une surcharge cognitive interne... et des clients déçus.
Le mirage du revenu automatique
Parmi les illusions les plus toxiques : le mythe du revenu passif par l'IA. En quelques mois, des milliers d'entrepreneurs ont tenté de générer un ebook avec ChatGPT, de produire des visuels avec Midjourney, de créer une chaîne YouTube automatisée, de lancer des microservices IA.
Le marché a été saturé. Ce que l'IA peut produire, tout le monde peut le produire. La valeur perçue s'est effondrée. Une vidéo générée, une voix synthétique, un livre écrit en 2 heures... n'ont plus de rareté, donc plus de prix.
Dans un monde de contenus IA générés en masse, l'originalité humaine reste la seule chose qui se vend.
Exemples concrets de secteurs piégés
Le phénomène est transversal. Des secteurs entiers ont intégré l'IA trop vite, mal ou à contre-emploi. Voici quelques cas d'usage détaillés dans notre enquête :
Les promesses de diagnostic assisté par IA sont techniquement impressionnantes. Mais juridiquement, la responsabilité en cas d'erreur reste floue. Les praticiens hésitent. Les assureurs freinent. La loi reste prudente.
Résultat : des investissements coûteux, sous-utilisés, et souvent mis en pause.
Des solutions IA pilotant l'irrigation, les semis ou les traitements phytosanitaires promettaient des économies. Mais les capteurs IoT, les abonnements aux plateformes de prévision, les modèles climatiques instables coûtent cher.
Résultat : dans 70 % des petites exploitations, le coût dépasse les gains espérés.
Là où l'IA semblait pouvoir briller bots, réponses instantanées, disponibilité 24h/24 elle a souvent dégradé l'expérience. Trop d'entreprises ont remplacé des humains par des scripts mal calibrés, froids, limités.
Résultat : clients perdus, image ternie, et retour en urgence au standard humain.
Une armée d'« experts IA »... sans IA
Autre problème massif : le marché s'est rempli d'experts autoproclamés. Formateurs, consultants, intégrateurs vendent des « solutions IA » clef en main... mais ne maîtrisent ni les modèles, ni les enjeux légaux, ni l'impact réel.
Ce phénomène, que certains appellent le « ChatGPT washing », a vu fleurir des formations express, des business packs IA « prêts à vendre », des agences générant des milliers de visuels sans aucune stratégie.
L'échec vient souvent de là : on déploie des outils que personne ne comprend, pour résoudre des problèmes mal formulés, avec des données inexploitables.
Le piège du surhypage
Un concept rarement abordé mais essentiel mérite l'attention : celui du « surhypage » (traduction cognitive du overfitting technique). L'idée est simple :
Une IA trop entraînée sur un jeu de données restreint devient incapable de s'adapter à des cas réels.
Cela crée une illusion de performance, qui s'effondre dès que le contexte change.
Un chatbot semble répondre correctement... jusqu'à ce que le client pose une vraie question.
Un modèle de recommandation fonctionne bien... jusqu'à ce qu'un paramètre change.
Le problème ici est subtil : ce n'est pas l'IA qui se trompe, c'est l'humain qui ne comprend pas ses limites.
Une IA louée, jamais maîtrisée
En 2025, la majorité des IA utilisées reposent sur des plateformes fermées : OpenAI, Google Gemini, Anthropic, Meta AI, Mistral. Les entreprises louent une puissance cognitive dont elles ne comprennent ni le fonctionnement ni les contraintes.
Et elles découvrent, parfois trop tard, que :
- le prix d'accès peut doubler du jour au lendemain ;
- une mise à jour peut altérer les performances critiques ;
- des données sensibles peuvent quitter l'Union européenne sans contrôle réel.
Aucune souveraineté. Aucune garantie. Et souvent, aucun plan B.
Le coût écologique oublié
Dans cette course à l'IA, un sujet est quasi absent du débat public : l'impact environnemental.
Entraîner un seul modèle de grande taille peut consommer autant d'électricité que 30 000 foyers sur une journée. L'utilisation continue de ces IA par millions d'utilisateurs mobilise des fermes de serveurs énergivores, refroidies 24h/24, dispersées sur plusieurs continents.
Derrière l'interface fluide se cache une empreinte carbone massive, invisible, mais réelle.
Et cela compte, surtout à une époque où les entreprises doivent publier leur bilan carbone, où l'opinion publique devient sensible à la cohérence écologique des innovations.
Une régulation asymétrique
L'Union européenne a pris les devants en 2024 avec le AI Act, une législation ambitieuse classant les IA selon leur niveau de risque. Toute IA à usage général est soumise à :
- une documentation complète,
- une auditabilité externe,
- une supervision humaine,
- une transparence des biais,
- une explicabilité des décisions.
Mais pendant ce temps :
- les États-Unis favorisent l'innovation libre, sans contraintes trop lourdes,
- la Chine accélère sur tous les fronts, avec peu de garde-fous,
- l'Inde, Singapour et Israël investissent dans la dérégulation pour attirer les entreprises.
L'Europe prend le virage technologique avec un frein réglementaire serré, créant une tension énorme entre conformité et compétitivité.
2026 et après : les mutations qui arrivent
Alors que l'AI Act entre en vigueur en Europe, une nouvelle vague de mutations redessine déjà le paysage. Les modèles d'IA open-source, naguère cantonnés aux laboratoires de recherche, s'imposent désormais comme des alternatives crédibles face aux géants privés. Leur adoption massive redonne de l'autonomie aux entreprises, mais crée aussi de nouveaux défis : gouvernance éthique, sécurité des modèles, et validation réglementaire sans filet commercial.
En parallèle, les régulations post-AI Act se durcissent. Certaines voix appellent à une harmonisation internationale, mais d'autres prônent des clauses souverainistes, notamment autour des données d'entraînement et de la traçabilité algorithmique. Le résultat : un environnement mouvant, fragmenté, où les plus réactifs tireront leur épingle du jeu.
Une nouvelle génération d'acteurs commence déjà à émerger : des entreprises hybrides, techniques mais prudentes, locales mais agiles, qui investissent autant dans la conformité que dans la maîtrise des briques IA fondamentales. Elles seront peut-être les Amazon et UPS de demain.
Ceux qui réussissent font exactement l'inverse
Il serait faux de dire que personne ne gagne d'argent avec l'IA. Mais ceux qui y parviennent :
- ne courent pas après la nouveauté,
- maîtrisent leurs données,
- forment leurs équipes en profondeur,
- intègrent l'IA dans des process mûrs et pensés,
- et surtout, ne l'utilisent jamais comme une fin en soi.
Ils ne vendent pas « de l'IA ». Ils vendent de la valeur augmentée par l'IA.
Ils ne délèguent pas la pensée. Ils l'étendent.
En résumé : l'IA ne ment pas, elle amplifie
L'IA, c'est comme une loupe :
- Elle amplifie ce que vous faites déjà bien.
- Elle démultiplie ce que vous ne comprenez pas.
- Elle expose les failles de vos process, de vos datas, de votre logique.
Elle n'est ni bonne ni mauvaise. Elle est révélatrice. Et c'est cela qui dérange le plus.
Conclusion
L'échec de l'IA, ce n'est pas une erreur technologique. C'est un manque de préparation humaine.
Ceux qui ne gagnent pas d'argent avec l'IA sont ceux qui l'utilisent :
- sans but,
- sans méthode,
- sans compétence,
- ou sans sens.
Mais ce n'est pas une fatalité. Ce qui manque n'est pas une nouvelle IA plus puissante.
Ce qui manque, c'est une vision claire, une intelligence naturelle, une rigueur stratégique.
Pour aller plus loin
Cette analyse s'appuie sur
NLP, ChatGPT et autres IA : pourquoi tout ce qui brille n'est pas en or
Manuel de référence publié en 2023 qui développe en profondeur ces méthodes et stratégies avancées.
Consulter l'ouvrageOlivier Evan, ai7ia.com @olivier_evan